lundi 18 avril 2016

Montbéliard : le mea culpa du ministre de l’Intérieur après la mort d'un jeune policier anoréxique

Il y avait une tendresse énorme entre le grand-père commandant de police à Montbéliard et le petit-fils. Le second a emboîté le pas au premier en intégrant les rangs de la police. Quand Thomas s’est éteint y a un an, la blessure n’en fut que plus douloureuse pour Pierre Schlatter. Il « ose » penser que si Thomas n’avait pas été policier, la dépression et l’anorexie n’auraient pas déboulé dans la vie de ce garçon emporté de l’autre côté alors qu’il avait seulement 28 ans.

Vaut mieux tard que jamais

Il fallait le dire. Tirer la sonnette d’alarme auprès de la plus haute hiérarchie pour que de jeunes policiers projetés en première ligne dans ce monde brutal « soient accompagnés lorsqu’ils glissent sur la pente dangereuse de la dépression ». Alors Pierre Schlatter a pris sa plume et écrit au ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve. Non pour polémiquer. Seulement pour raconter la descente aux enfers de l’anorexie de ce petit-fils affecté dans une brigade de nuit dans le 19e arrondissement, plusieurs fois blessé en intervention. Thomas voulait effacer ses rondeurs. C’était juste un solide gaillard d’1,81 m pour 93 kilos. Le régime est devenu obsessionnel. Puis piège mortel. Thomas a perdu plus de 50 kilos en deux ans. L’ombre de lui-même. Le courrier est parti.
D’abord il y a eu la réponse, six mois plus tard, d’un chef de cabinet au ministère de l’Intérieur. « Vaut mieux tard que jamais », lâche l’ancien commandant à la retraite et maire de Bart (25). Une réponse impersonnelle. Exempte d’humanité. À aucun moment, il n’est seulement mentionné le prénom de Thomas. Une réponse institutionnelle avec une logorrhée de dates et de mesures prises pour détecter les situations de fragilités individuelles et les dispositifs pour accompagner les fonctionnaires en souffrance, comme le SSPO. Service de soutien psychologique opérationnel. Une réponse, enfin, à côté de la plaque. « Soyez assuré », écrit le chef de cabinet à Pierre Schlatter, « que le ministre continuera à suivre personnellement la question du suicide des membres des forces de sécurité intérieure car chaque fonctionnaire, policier ou gendarme, doit pouvoir trouver l’aide et le soutien nécessaire pour surmonter sa souffrance sans en arriver à commettre l’irréparable en mettant fin à ses jours… »

Les excuses du ministre

Effarement de Pierre Schlatter. « Thomas, mon petit-fils, ne s’est pas suicidé. Sa santé s’est détériorée à cause d’un mal terrible : l’anorexie », précise-t-il par retour du courrier. « Dans le service du 19e à Paris où était affecté Thomas, aucune aide psychologique ne lui a été apportée. Aucun des dispositifs cités dans votre courrier n’a fonctionné. D’ailleurs, combien de policiers connaissent votre SSPO. » Fermez le ban.
Ensuite, il y a eu le courrier écrit et signé, cette fois, par le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve. Sept mois plus tard. Mais, c’est vrai, il vaut mieux tard que jamais ! Le ministre adresse un mea culpa : « Le volume considérable de correspondances traitées au cabinet ne saurait excuser l’approximation. Or force est de constater que cela s’est produit. Je tiens donc, en toute sincérité, à vous présenter mes excuses. » Dans la foulée, Bernard Cazeneuve fait valoir combien il est attaché à ce que les questions de souffrance au travail soient traitées « comme une priorité » ; assure que l’administration n’est pas « restée sourde » aux signaux que certains de ses agents fragilisés peuvent envoyer ; évoque les 23 mesures élaborées depuis début 2015 en ce sens. « Soyez convaincu », écrit-il à Pierre Schlatter, « que ces dispositifs sont actuellement mis en place pour accompagner de très nombreux policiers, sapeurs-pompiers, secouristes qui, comme Thomas, ont été confrontés à des situations périlleuses. Notamment depuis les événements tragiques qui ont marqué l’année 2015 et dont les effets sur chaque personnalité sont à surveiller très étroitement. » Bernard Cazeneuve dit mesurer le chagrin de Pierre Schlatter et comprend ses doutes. « Je m’emploie », conclut-il, « à mobiliser mes services pour que la situation dramatique qu’a vécue Thomas et que partagent certains policiers, fasse l’objet d’une attention vigilante. »
Ça va toujours mieux en le disant. Bien sûr, ça ne cicatrisera jamais la plaie béante provoquée par la perte d’un enfant.

http://www.estrepublicain.fr/edition-belfort-hericourt-montbeliard/2016/04/18/montbeliard-le-mea-culpa-du-ministre-de-l-interieur

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire