mardi 25 juin 2013

Un accès de colère mortel

LES faits sont très simples », a immédiatement résumé le président de la cour d'assises des Ardennes Gilles Latapie, hier matin, à l'ouverture du procès en appel de Jean Pinceel, 71 ans. Difficile de le contredire.
Le 7 janvier 2011, ce retraité domicilié à Reims a tué son épouse Elisabeth Lalouette
d'un coup de couteau dans le dos. Elle avait 50 ans et venait de lui annoncer son souhait de « prendre du recul ». Ils étaient mariés depuis quatre mois, après s'être rencontrés et vite aimés en mai 2010. Sur l'appel d'urgence enregistré par le Samu, la victime supplie : « S'il vous plaît… Je suis blessée ». Plus lointaine, émerge la voix de Jean Pinceel : « Tu vas mourir ». Quelques minutes plus tard, les secours arrivent dans la rue Charles-Marq. L'homme les accueille calmement : « Suivez-moi. C'est moi qui ai planté ma femme ».
En septembre dernier, des jurés marnais ont condamné ce septuagénaire à treize ans de réclusion, coupable selon eux d'un « meurtre sur conjoint », passible de la réclusion criminelle à perpétuité. Pourquoi avoir fait appel ? « Parce que selon les médecins, j'en ai pour cinq ou six ans à vivre », a expliqué l'accusé d'une voix chevrotante. Ne pas mourir en prison, donc. Pour réduire la peine de son client, Me Repka, l'avocat de la défense, ambitionne de requalifier « l'homicide volontaire » en « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner », crime qui, avec la circonstance aggravante que la victime soit l'épouse de l'accusé, peut être puni jusqu'à vingt ans de réclusion.
La mission s'annonce compliquée : le médecin-légiste qui a autopsié la victime a assuré, hier, que sa blessure « n'était pas une situation compatible avec quelque chance de survie ». La lame utilisée par l'accusé mesurait huit centimètres, elle s'est enfoncée quasiment jusqu'à la garde entre les côtes d'Elisabeth Lalouette, décédée six heures plus tard des suites de sa blessure.
Jusqu'à ce « coup de colère » insensé, Jean Pinceel n'avait jamais été condamné. Face à un psychologue, celui qui est détenu à Reims depuis trente mois a eu ces mots : « J'ai eu un vertige […] Un trou noir […] Tout a tremblé dans ma tête ». Devant les enquêteurs, il a encore bloqué sur sa propre énigme : « Je ne peux rien expliquer […] Je regrette beaucoup, je l'aimais. »
« Tout plastique »
Équipé d'un pacemaker, en proie à de vives angoisses difficilement tempérées par un traitement à base d'antidépresseurs et de somnifères, l'homme a semblé égaré et affaibli. Hier matin, il s'est raconté. En 2007, sa première femme, polyhandicapée, était décédée « dans ses bras », des suites de maladie, après vingt-huit ans de mariage. De cet amour, est né trois enfants. Encore plus tôt, « de huit à trente-six ans », Jean Pinceel, « élevé dans la bagarre » selon sa propre appréciation, a été régulièrement rongé par l'alcool. Jusqu'à boire « trois litres de vin » par jour. Six cures pour contrer cette
addiction
, dont une dernière dite « de dégoût » : les médecins tentent d'écœurer le patient en lui ingurgitant de l'alcool du matin au soir. « Ah, je ne la connaissais pas celle-là », tente de sourire le président Latapie.

Hormis la question du caractère volontaire de cet homicide, les débats ont doucement ronronné - permettant même à un juré de s'assoupir. On écoute Jean Pinceel comme un parent en maison de retraite. Pour lui parler, il faut répéter, parler fort et articuler. En plein récit de ses déboires, il lâche : « Moi, je suis tout plastique ». Regards interloqués parmi les jurés. « J'étais ivre, je suis tombé du trottoir. Là, je suis plastique ; là, je suis plastique… », détaille le septuagénaire en passant une main sur son menton, sa joue et sa pommette. Les chirurgiens ont bien fait les choses. « Ah bon ? Ça ne se voit pas… », ne peut que constater le président. De l'examen de ce dossier n'émerge qu'un sentiment d'immense gâchis.
Verdict ce soir.


http://www.lunion.presse.fr/article/region/un-acces-de-colere-mortel

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